Depuis la sortie de son dernier film « Juste la fin du monde » en septembre dernier, il est omniprésent sur la scène médiatique, dans les journaux, à la radio, sur les plateaux télé et semble être devenu le réalisateur à la mode. Pas de doute, Xavier Dolan est aujourd’hui un réel prodige du cinéma, il nous fascine, on le jalouse mais surtout on adore en parler. Puisque « quand y en a plus, et bah y en a encore », je vous propose ici un bref retour sur l’une de ses plus belles œuvres.
« Quel est votre nom complet ? » « Laurence Emanuel James Alia »
Laurence Alia est un homme d’une trentaine d’années. Prof de littérature dans la fac de Montréal, il est inséparable de Fred Belair, petite rousse excentrique au caractère bien trempé. Le jeune couple vit au rythme de son époque, les années 80, galvanisé par une vie de fêtes, de rires et d’amour qui nous semble être d’une jolie simplicité éternelle. Dès les premières minutes du film, le génie de Xavier Dolan nous bouleverse et nous dévoile toute sa poésie.
« C’est une révolte ? » « Non Sire, c’est une révolution »
Le tabou autour duquel l’histoire gravite est le suivant : Laurence ne se sent pas homme, ne se sent pas vivre, pas respirer et décide de tout avouer. Si la trame de cette histoire peut apparaître finalement très trivial et nous fait penser au synopsis d’un mauvais feuilleton du dimanche soir, la beauté du scénario et du jeu des acteurs nous transportent dans une atmosphère déroutante et rafraîchissante qui présente une vision du monde pleine de modernité qui nous dérange, nous bouscule. Fred Belair et Laurence Alia s’aiment et c’est en femme que ce dernier veut l’aimer.
Un portrait de femme poignant par Xavier Dolan
Face à lui, Dolan dresse le portrait émouvant et délicat d’une femme éclatante, courageuse et sincère (incarné par Suzanne Clément) qui ne cesse de nous déstabiliser et tente de trouver sa place dans ce tourbillon de sincérité déconcertante. La passion, l’amour, la folie aussi surement vont pousser ce personnage à participer à cette aventure tortueuse et exaltante. C’est ensemble qu’ils vont réinventer, mettre au monde le vrai Laurence Alia et ainsi tenter de préserver la douceur de leur histoire. Fred Belair est selon moi celle qui touche le téléspectateur au plus près et son indulgence face à la situation ne peut que nous interpeller, nous questionner. Dépassée par la situation, les émotions de la jeune femme sont constamment bouleversées et toute la force et l’intérêt de ce personnage se trouvent dans la sincérité des sentiments que l’actrice interprète à la perfection (la colère, l’enthousiasme, la joie, la tristesse, l’excitation...).
« C’est quoi le commentaire que tu entends le plus souvent ? » « C’est spécial »
Sébastien Lifshitz a dit très justement dans une interview au journal Les Inrockuptibles, « A partir du moment où on est différent, on s’aperçoit qu’on ne correspond à rien ». La prouesse du réalisateur est d’être parvenu à ne pas faire un film-cliché irritant sur la transsexualité mais bien une ode à la différence et à l’amour.
Dans l’œuvre de Dolan, j’admire à la fois le courage et l’insolence du personnage qui jusqu’au bout va défier la réalité monotone d’une société stéréotypée et ignorer les nombreux sceptiques mais également le jeu et l’audace de Melvil Poupaud (alias Laurence Alia) qui a su parfaitement s’approprier une identité nouvelle et troublante. Ce dernier parvient, avec une aisance certaine et une délicate émotion à mettre en scène la re-naissance du personnage principal.
« Un bon acteur sait mettre de l'émotion dans l'action et de l'action dans l'émotion. » Charlie Chaplin
Laurence Anyways est un film aux 1000 émotions qui nous fait passer des rires, à la tristesse mais aussi l’angoisse puis l’euphorie. La relation entre Laurence et Fred va être bouleversée et chacun va, à sa manière, nous saisir, nous surprendre, nous tenir en haleine pendant 2h48. De plus, les quelques scènes de rencontres entre Laurence et sa mère (incarnée par Nathalie Baye) sont remarquables. Rapidement, on comprend que leur relation est conflictuelle. Le jeune homme incompris doit faire face à une mère déçue qui n’accepte pas que son petit monde soit secoué dans ses habitudes, recroquevillée sur ses peurs. Néanmoins, à mes yeux, la complexité et la brutalité de la relation qu’ils entretiennent est touchante.
De plus, le décor, les différents plans, les costumes minutieusement et admirablement bien choisis, les coiffures extravagantes des personnages et une bande originale au top (Fauve – Moderat) collent parfaitement avec l’atmosphère quasiment psychédélique du film et nous transportent dans un monde surprenant. Les tableaux aux couleurs éclatantes se juxtaposent et crèvent l’écran. Dolan nous présente un panel de scènes très diverses et nous fait passer d’un univers rassurant dans la chambre bleue de Lawrence et Fred à des scènes de danse euphoriques puis de sombres moments de doutes et coups de gueule. Bref, pour moi, Laurence Anyways est sans aucun doute un film, un poème d’une beauté déstabilisante, un réel souffle d’air frais.
A voir et à revoir.