Asghar Farhadi a frappé fort cette fois-ci. Très fort. Le réalisateur iranien (Le Passé (2013), Une Séparation (2011) ) nous embarque dans un quasi huis-clos à la fois déroutant, prenant et touchant. Voici une critique de son dernier film qui a obtenu le Prix du Scénario et le prix d'interprétation masculine, Le Client.
Etant rentrée chez mes parents ce weekend, ma mère, grande amatrice de cinéma qui m'a transmis sa passion décide de m'y emmener et de me cacher le film que nous allions voir. Avant qu'il ne commence elle me dit que le réalisateur de ce dernier est pour elle au dessus des autres, de ses favoris qu'elle défend déjà corps et âme (Tony Gatlif, Abdellatif Kechiche...). De suite, la connaissant bien, je comprends qu'elle me parle de Farhadi et un sourire s'installe sur mon visage lorsque les lumières s'éteignent enfin.
Un scénario où la mesure fait grâce
Dès le début, le ton est donné, l'histoire lancée : quelque part en Iran, un jeune couple est contraint de déménager lorsque leur immeuble menace de s'effondrer. Ils se retrouvent chez des amis puis tentent de trouver une solution plus pérenne mais leur métier de comédiens ne leur donne que peu de solutions immédiates. Ils acceptent donc l'aide d'un de leur ami et collègue, Babak, qui les loge dans un appartement qui lui appartient. La chance semble enfin leur sourire.
Jusqu'au terrible jour où Rana (interprétée par Taraneh Allidousti) se fait agresser chez elle : l'ancienne locataire, une femme "aux moeurs légères", une prostituée en somme, recevait beaucoup d'hommes chez elle et un soir, l'un d'entre eux sonna chez Rana et Emad pensant encore y trouver celle qu'il cherchait. D'un geste anodin, Rana, seule à ce moment là, lui ouvre la porte et part se doucher pensant que c'était à Emad, qui devait rentrer d'une minute à l'autre, qu'elle venait d'ouvrir. De manière tragique, Rana est traumatisée et Emad va tout faire pour à la fois être présent pour elle et se venger en retrouvant le fameux "client".
Le scénario est la grande force de ce film et j'ai vite compris pourquoi il en avait reçu le Prix au Festiva de Cannes. L'histoire folle mais crédible de cette agression, animée par les liens forts qui unissent Rana et Emad (incroyablement joué par Shahab Hosseini) et tout ça en parallèle de la préparation de leur pièce de théâtre matérialise ce que j'appellerais une "symphonie cinématographique". Chaque scène correspond à une mesure qui apporte sa pertinence au tableau final et qui prend tout son sens lorsque les autres viennent l'accompagner.
La délicatesse de la subtilité iranienne
Quel plaisir de plonger pendant deux heures dans l'Iran moderne et défait des stéréotypes qui l'accompagnent bien (trop) souvent. Je ne serais probablement pas objective en avançant que tout est beau dans ce film mais peu m'importe, Farhadi me le fait dire.
Les femmes, fières et percutantes dans leurs regards, pleines de grâce dans leur démarche intriguent et célèbrent une féminité variable et grandiose. L'homme de ce film reste évidemment Emad (Shahab Hosseini) qui par sa présence remplit le film et donne le ton des événements qui le construisent.
La ville dans laquelle cela se déroule n'est pas mentionnée mais les quelques phrases dessus ("on devrait tout détruire pour reconstruire - Ils l'ont fait regarde le résultat") attestent de la transformation urbaine iranienne et des restes d'une période violente et sévère pour les iraniens.
Pour finir sur la beauté, le farsi (langue parlée en Iran) séduit et attire, trahit ses influences plurielles et sa poésie légendaire (merci pour la référence au poète Saadi, ça fait plaisir).
Le décor est intelligent et sélectionné avec soin et c'est là une des forces du cinéma de Farhadi : on qualifie souvent ses histoires de "subtiles et pudiques" mais ce n'est pas parce qu'il refuse d'exprimer certains sentiments mais plutôt parce qu'il décide de les montrer autrement.
En effet, Emad et Rana forment un couple d'artistes cultivés et passionnés qui ont des projets et s'aiment en formant avant tout une équipe. Leur appartement l'illustre par les différents livres et films qui y sont rangés (gros coup de coeur sur le dvd de Babel dans l'étagère).
De plus, la pièce qu'ils jouent (Mort d'un commis voyageur d'Arthur Miller) dénote un intérêt pour la littérature occidentale. Emad est d'ailleurs également professeur dans un lycée de la ville, un homme de lettres apprécié par ses étudiants qui viendront le voir lors de la représentation finale.
Vengeance ou pardon : un dilemme passionné et déchirant
Cette pièce est l'ironie en parallèle de l'histoire centrale puisque Emad y joue "le vendeur" lorsque dans la vraie vie, sa compagne est agressée par "le client". Cet événement déclenche dans la vie des deux comédiens beaucoup de choses. Rana est traumatisée par son agression, Emad est terriblement accablé par la souffrance de sa femme et ils décident de ne prévenir personne de l'incident, faisant monter une pression dangereuse pour leur relation.
Emad va peu à peu tenter de retrouver celui qui a osé poser la main sur Rana en traçant la camionnette qu'il avait laissé dans sa fuite soudaine. La tension est à son comble lorsque l'on découvre qui est le coupable de cet acte et de vraies questions viennent à nous : est-ce possible d'avoir tant de pitié pour un individu qu'on est capable de lui pardonner ?
Rana veut oublier, avancer, ou au moins essayer. Essayer de réapprendre à sourire, vivre seule, oublier l'humiliation et faire confiance à son mari.
Emad est un homme profondément bon et sensé et lorsqu'il se retrouve face à l'homme qui a touché la femme qu'il aime et l'a partiellement détruite, que reste t-il de conscient chez cet homme passionné ? Vous le verrez vous même.
Bienvenue au Farhadi
En définitive, Le Client est un ballet passionnant où une histoire d'amour qui semblait nouvelle mais solide se voit menacer par l'agression de Rana. L'ancienne locataire n'apparaît jamais même si petit à petit on imagine son quotidien et son histoire aussi.
Comme dans Le Passé ou Une Séparation, Farhadi sublime les relations humaines et amoureuses, la façon dont elles évoluent selon un événement.
Poétique mais réaliste, le réalisateur signe un bijou perse et revendique son maintien sur le Mont Olympe des cinéastes.