Vous pouvez d’ores et déjà oublier tout ce que vous avez vu sur l’amour, In the mood for love n’a rien d’un mélodrame mièvre qui aurait besoin de scène de passion ridicule pour avoir du sens.
En esquivant habilement les poncifs amoureux, Wong Kai Wai nous prouve que les images n’ont pas besoin de montrer l’évidence pour signifier l’essentiel, d’ailleurs, ce coup de force lui a valu le César du meilleur film étranger en 2001. En réalité, ce film ne cesse de décevoir nos attentes voyeuristes, habitués que nous sommes à un traitement explicite des sentiments.
Faire ressentir l’amour au moyen de scènes érotiques comme le fait Gaspar Noé dans Love était déjà un pari ambitieux, mais parvenir à la même chose au moyen de silences, de regards et de non-dits en est une autre.
Ainsi, le réalisateur chinois nous propose de sortir de cette incessante surenchère émotionnelle pour nous plonger dans la douce torpeur de deux amants qui n’osent s’aimer.
Hong Kong, 1968 ; Mr Cho et Mme Chan viennent d’emménager sur le même pallier mais ils se rendent vite compte que leurs conjoint respectif entretiennent une relation d’adultère ensemble. Pourtant, ces deux personnages brillent de leur absence : on ne les aperçoit jamais vraiment, ou bien uniquement de dos. Par cet effet, la tromperie est subtilement sous-entendue tandis qu’elle constitue pourtant la trame centrale de l’histoire. Là encore Wong Kai Wai nous laisse deviner, imaginer, finalement il nous place selon le même point de vu que Mr Cho et Mme Chan qui ne peuvent que constater les prétextes d’absences reçu par téléphone sans jamais surprendre la tromperie.
Les deux personnages principaux commencent alors à se fréquenter, partageant la même douleur sans jamais vraiment l’exprimer et se lancent dans une relation d’apparence amicale. Le motif de répétition des plans : de l’escalier de l’immeuble aux ruelles étroites de Hong-Kong par lesquelles les deux « amants » passent et repassent, est l’illustration de cette relation qui tombe immédiatement dans la routine, incapable de prendre aucune dimension passionnelle. Les rendez-vous au restaurant se succèdent, au rythme des robes colorées de Mme Chan et semblent constituer les seuls moments « intimes » de cette relation platonique.
A mon sens, la musique tient une place essentielle : (composée par Michel Galasso et Shigeru Umebayashi) le « Yumeji's theme » est une mélodie plaintive, lascive, presque sensuelle tout en restant extrêmement mélancolique…
Wong Kar-Wai fait parler musique quand le reste est silencieux… « Quizas, quizas, quizas » (de Nat King Cole à écouter également) résonne et suggère cette tension permanente entre les deux sages amants.
Le temps est suspendu tandis que le spectateur restera jusqu’à la fin dans l’attente d’un geste qui matérialisera cette évidente attirance.
Aussi, in the Mood for love est un film extrêmement ambiguë dans lequel on est sans cesse perdu par le jeu de rôle qui s’instaure entre les deux amants. Peut-être par curiosité malsaine ou bien par prétexte,
Mr Cho et Mme Chan essaient de comprendre comment a pu commencer l’histoire de leurs deux conjoints infidèles et se mettent alors à imaginer leurs comportements, leurs dialogues, faisant de cette liaison une véritable obsession.
D’ailleurs, ils s’y perdent tout autant que le spectateur, finissant par ne plus savoir s’ils jouent leur propre rôle ou bien celui des infidèles. Cet habile double-jeu leur permet de continuer à se fréquenter sans jamais se compromettre : « Nous ne serons jamais comme eux » rétorque un jour Mme Chan.
Mais ce film est avant tout une œuvre d’art visuelle : chaque plan est parfaitement construit et travaillé.
On ne peut que s’émerveiller devant le travail décoratif de reconstitution des intérieurs chinois des années 60, qu’être frappé par les couleurs vives et saturées, un peu à la manière d’un Paris Texas ou d’une pub Yves Saint Laurent.
Enfin, le jeu des deux acteurs, toujours irréprochablement beaux, frôle un sans faute et parvient à éviter habilement les pièges du mélodrame. D’ailleurs Tony Leung obtiendra le prix d’interprétation masculine au festival de Canne en 2000.
On comprend vite que le réalisateur n’a aucunement l’intention de nous satisfaire, et nous laissera impuissant jusqu’au bout, incapable de vraiment comprendre pourquoi les deux amants décident de nier l’évidence. L’amour physique est sans issu ?
Pas sûr… et c’est ce que nous prouve le chef d’œuvre de Wong Kar-Wai qui parvient à nous fait voir l’invisible, nous fait ressentir comme très peu de films parviennent à le faire la tension amoureuse implicite et inachevée.