Récompensé par le prix du jury à Cannes, The Lobster est un conte dystopique teinté d’humour noir mais d’une extrême douceur.
Les dystopies ont la côte depuis plusieurs générations : de 1984 à Black Mirrors, en passant par Bienvenue à Gattaca, Wall-e, Blade Runner ou Idiocracy. Il y en a pour tous les genres. Yorgos Lanthimos s’empare ici du sujet avec une douceur et une étrangeté qui lui sont propres. Il nous plonge avec lui dans une bulle de quiétude et une ambiance glacée, une tonalité plutôt inhabituelle du genre. On pense à Her, film de Spike Jonze sorti un an plus tôt, mais la palette de couleur et le ton diffèrent.
The Lobster est une fable sociale qui mélange avec justesse absurde et poésie.
Dans un futur proche, toute personne célibataire est « invitée » (pour ne pas dire forcée) à passer 45 jours dans un hôtel où il-elle doit rencontrer l’âme sœur sous peine de se faire transformer en animal (le choix de la bête reste ouvert, quelle bonté).
Cette société nouvelle est donc dénuée de sentiments réels : tout est contrôlé. Une atmosphère d’indifférence est portée par le jeu distant des acteurs - notamment Colin Farrell, inhabituel dans ce rôle. La voix off joue un certain détachement avec les évènements, contribuant à l’absurde.
Le rythme est calme ; le montage n’a pas peur des silences. En plus d’accentuer l’apathie générale, cela permet notamment d’apprécier ce que l’écran nous offre visuellement : les paysages irlandais sont sublimés par la photographie et l’esthétique glacial. Les plans sont travaillés mais simples, souvent larges ; les couleurs sont sobres. Le rendu est fascinant.
En suivant David, quitté par sa femme depuis peu, on découvre le quotidien cruel et morbide dans cette société totalitaire où le couple est la base de tout. Sur fond de séminaire un peu glauque, on apprend dans cette première partie que « l’amour » repose sur des ressemblances idiotes (une vision assez enfantine), et que le cynisme est de la partie puisqu’on ne peut trouver chaussure à son pied autrement que par le mensonge. Il est plus facile de masquer ses sentiments à vie que d’en feindre, nous apprend David (à tort).
“One day, as he was playing golf, he thought that it is more difficult to pretend that you do have feelings when you don't than to pretend you don't have feelings when you do.”
La deuxième partie du film, moins puissante même si elle contient l’essentiel du scénario, nous dépeint soi-disant l’envers de cette société. David passe chez les Solitaires, un groupe de marginaux qui se cachent dans les bois. D’apparence opposés, les mêmes codes régissent les deux groupes : les sentiments doivent être maîtrisés, l’ordre social imposé. La cruauté y est égale, les règles aussi totalitaires.
Assez logiquement donc, les deux lieux sont clos mais veulent prétendre ne pas l’être. L’hôtel est un endroit fermé dont David ne peut sortir à son gré, et pourtant ouvre sur de grandes étendues et des paysages magnifiques. La forêt, espace a priori ouvert, est sans fin et souvent trop dense pour exprimer la liberté qu’elle promet.
De ces deux mondes sans passion, un amour va pourtant naître. Même s’il se base sur les codes idiots de l’infime ressemblance, il sera vrai. Pour s’adapter, il se passera de la parole, puis de la vue.
Comme toute fable a une morale, j’en tire celle-ci : chacun est toujours marginal et conforme à la fois, tout dépend de la perspective. Un film pour pessimistes romantiques et autres cyniques sensibles.