Dans In the fade, Diane Kruger incarne Katja, une femme meurtrie qui perd son mari et son fils dans un attentat perpétré par des néo-nazis. Elle allemande, lui turc, victimes et pourtant soupçonnées. Un film qui soulève des thématiques importantes, d’actualité, mais qui n’en approfondit aucune, laissant le spectateur in the fade.
Une étrange sensation s’empare du spectateur quand défile le générique de fin sur le grand écran en face de lui. Les lumières de la salle se rallument mais se sont-elles même éteintes ? In the fade laisse cette impression de distance, celle d’un film qui ne réussit pas à embarquer le spectateur dans son histoire. On en sort comme on y est entré, sur sa faim.
Qu’est-il passé par la tête du réalisateur, Fatih Akin ? Inspiré de faits réels, il tenait manifestement à cœur au metteur en scène, d’origine turque, de raconter cette histoire d’injustice visant une communauté immigrée turque prise pour cible et pourtant soupçonnée. Mais les thématiques abordées se noient les unes les autres au lieu de se mettre en valeur.
Un flou de larmes
D’abord, la trajectoire d’une femme, éprouvée par la douleur sourde de la perte de sa famille. Diane Kruger, prix d’interprétation féminine au festival de Cannes, livre une performance pathétique mais somme toute assez juste. Les larmes baignent son visage marqué la majeure partie du film, trop longuement pour que l’on puisse s’identifier au chagrin plus que légitime d’une femme désespérée. Ces longueurs desservent la dimension de thriller que le film revendique pourtant. Certes, c’est la douleur qui est mise en avant mais à trop insister sur le mélodrame, le film se noie (sans mauvais jeu de mot. Ou avec) dans un pathos dont le réalisateur ne voulait pourtant pas, semble-t-il, faire la pierre angulaire de son œuvre.
Le film aurait gagné à trancher, en éliminant le surplus de larmes pour se concentrer sur des scènes véritablement vectrices d’émotions. Dans la première partie du film, « La famille », un moment déchirant résume assez bien la souffrance insupportable de Katja. La mère se réfugie dans le lit de son fils disparu. Cette seule scène aurait suffi à transmettre la douleur ressentie par le personnage. Le film tombe dans le travers de représenter un chagrin infini, qui, bien que réel, met à distance le spectateur qui finit par s’y habituer. En concentrant dans quelques scènes l’intensité du chagrin, il aurait été plus efficace.
Des thématiques survolées
Mais le malaise est plus vaste. Car on ne comprend pas ce qu’on cherche à nous montrer. Au-delà de l’histoire personnelle, le film aborde une réflexion politique sur le traitement des communautés immigrées en Allemagne et sur le soupçon qui pèse sans cesse sur elle. Mais aussi le traitement du néo-nazisme outre-Rhin (et dans le monde, puisque le parti grec Aube Dorée est aussi évoqué) qui est un sujet d’actualité avec la montée de l’AfD, parti d’extrême-droite, dans le pays.
Le traitement de la problématique nazie reste marginal. Il n’y pas d’explication des motifs précis des assassins. Le racisme, certes, mais pourquoi cibler cette famille en particulier ? Pourquoi ne pas revendiquer leur meurtre par la suite ? Qui sont les deux jeunes accusés, ont-ils agi seuls ou en lien avec un groupuscule nazi ? Autant de questions qui, bien qu’intéressantes, ne sont même pas soulevées par le film. Samia Muriel Chancrin (Birgit Möller) joue pourtant à la perfection son rôle de coupable mutique, fragile dans sa monstruosité. Son jeu pose la question de l’humanité de ces gens, et mériterait de s’attarder sur la complexité des personnages.
L’intensité du film se loge finalement dans la deuxième partie, « Justice », centrée sur le procès. Les avocats de chaque partie, très justes dans leur interprétation, sont impressionnants dans la réalité de leur plaidoirie et font s’asseoir le spectateur au fond de la salle d’audience.
Chacun assiste au retournement de situation où la victime devient accusée qui, bien qu’improbable, fait ressentir l’injustice d’un soupçon illégitime. Une partie survolée qui apparaît seulement comme une transition vers le dernier moment du film, « la mer ». Le cinéaste y tente enfin de faire de son long-métrage un thriller, sans jamais réellement y parvenir.
Et c’est là que semble se loger l’épicentre du problème. Le film ne tranche jamais : ni sur le genre auquel il appartient (drame, thriller…), ni sur les thématiques qu’il souhaite aborder. La volonté, peut-être, de tout caser au risque de perdre son spectateur.